dimanche 21 juillet 2024

  

Le plongeon dans la Vie brute et bruyante est une expérience pénible, la beauté y est difficile à percevoir.  Cependant le chemin laborieux de nos vies incarnées nous conduit parfois à métamorphoser, dans notre chair, cette noirceur en lumière.
 

Combien faut-il de temps pour simplement l’accepter ? On peut tout essayer : l’illusion pour y échapper, la révolte pour déculpabiliser ou l’oubli pour ne pas sombrer. Mais rien de tout cela ne permet de franchir le cap. Le seul moyen est d’accepter que les expériences sont parfois douloureuses et les situations pathétiques.
Dans la pièce de Nicolas Godart " Rollekebol", c’est cette réalité crue qui nous traverse.
Pourtant aucun des personnages ne perd sa dignité, les valeurs profondes de l’humain y sont préservées.

On est dans les méandres de la vie terrestre de l’âme.
Les personnages prennent à bras-le-corps leur vie colorée d’un profond réalisme, bouleversés comme l'est la surface de l’océan soumis aux aléas du beau et du mauvais temps.
C’est dur à entendre et à voir, choquant parfois, mais pour autant réel. Moins choquant pourtant, qu'une Emma Bovary qui s'empoisonne sous la plume réaliste de Flaubert car ce n'est pas la fatalité qui triomphe.
Ici, les personnages gardent un lien profond à eux-mêmes face à leur désespoir et leurs souffrances. Le fond de leur être  reste intègre, aussi calme face à sa destinée que l’est le fond de l’océan, ils traversent
  la peur, la maladie, la mort et l'espoir. 

Le père accepte la fin de sa vie dignement. La mère trouve, au travers de ses tableaux, le chemin pour vivre avec les douleurs invisibles de son psychisme. .Le fils cherche la clé qui transformera son hypersensibilité addictive en talent créatif : un roman peut-être… La fille devra regarder l’inacceptable et s’en détacher pour devenir libre et faire de sa vie une comédie.
Le chat philosophe porte un regard sage sur cette famille et le chien meurt rempli d'une profonde compassion pour son maître.

Dans cette pièce, remarquablement interprétée, on est invité à trouver l'espoir  dans la misère du quotidien et de sentir dans sa chair la vibration de la lumière cachée derrière.
Elle aide  à comprendre qu’au delà des drames humains : la maladie physique, les maux psychiques, le rejet, le refus…la Vie garde sa splendeur.

Rokkebol, inspirée de nos expériences humaines, met en scène des messages qui deviennent universels et permettent de voir la beauté divine intacte derrière la sombre réalité.

C'est une pièce humaine et profonde qui touche le coeur et l'Âme, à découvrir pour vivre cette expérience qui ne peut laisser indifférent.

dimanche 25 février 2024

 Si tu peux voir détruit l’ouvrage de ta vie
Et sans un seul mot te mettre à rebâtir,
Ou perdre d’un seul coup le gain de cent parties
Sans un geste et sans un soupir ;
Si tu peux être amant sans être fou d’amour,
Si tu peux être fort sans cesser d’être tendre,
Et te sentant haï, sans haïr à ton tour,
Pourtant lutter et te défendre ;

Si tu peux supporter d’entendre tes paroles
Travesties par des gueux pour exciter des sots,
Et d’entendre mentir sur toi leurs bouches folles
Sans mentir toi-même d’un seul mot ;
Si tu peux rester digne en étant populaire,
Si tu peux rester peuple en conseillant les rois
Et si tu peux aimer tous tes amis en frère
Sans qu’aucun d’eux soit tout pour toi ;
Si tu sais méditer, observer et connaître
Sans jamais devenir sceptique ou destructeur,
Rêver mais sans laisser ton rêve être ton maître,
Penser sans n’être qu’un penseur ;
Si tu peux être dur sans jamais être en rage,
Si tu peux être brave et jamais imprudent,
Si tu sais être bon, si tu sais être sage,
Sans être moral ni pédant ;
Si tu peux rencontrer triomphe après défaite
Et recevoir ces deux menteurs d’un même front,
Si tu peux conserver ton courage et ta tête
Quand tous les autres les perdront,
Alors les Rois, les Dieux, la Chance et la Victoire
Seront à tout jamais tes esclaves soumis
Et, ce qui vaut mieux que les Rois et la Gloire,
Tu seras un homme, mon fils.

Rudyard Kipling

lundi 4 décembre 2023



"Nous ressemblons à notre âme et notre âme, elle ne fait rien, jamais rien. Elle regarde par la fenêtre. Elle attend ce qui ne viendra pas, ce qui viendra sûremment. Nous ressemblons à note âme, et c'est pourquoi un balayeur des rues -j'en ai connu un-peut aussi être un ange."

Pierre, Christian Bobin, p.31, ed.Gallimard

"Les papillons qui sont posés sur une herbe sont d'une immobilité absolue. Leurs ailes sont repliés au point de ne plus former qu'une seule. On croirait qu'ils sont morts. Maintenant  si on avance vers eux ils reprennent leurs vitesses lumineuses. Moi, mes ailes sont repliées par la pensée mais dès que la lumière me touche je suis remis en mouvement'.

Christian Bobin, la lumière du monde.

Tendre vers le sens et aller vers la beauté...

 Hokusai
   Grâce à la beauté, le monde n'est nullement un espace neutre, insipide et insignifiant ; l'existence humaine, non plus, n'est nullement un séjour aveugle, sans but ni visée, fermée au devenir et à la possibilité de dépassement.

Au contraire, le monde est plein d'attraits et d'appels, plein de signes et de sens. Et notre existence, elle aussi, est chargée de désirs et d'élans, elle va dans un sens et elle a un sens.

Déjà en nous-mêmes nous poussons dans un sens, c'est-à-dire, comme je l'ai dit tout à l'heure, nous tendons vers la plénitude de notre présence au monde, à l'instar d'une fleur ou d'un arbre. Et de plus, nous tendons vers d'autres présences de beauté, vers une chance d'ouverture et d'élévation.

C'est bien grâce à la beauté qu'en dépit de nos conditions tragiques nous nous attachons à la vie. Tant qu'il y aura une aurore qui annonce le jour, un oiseau qui se gonfle de chant, une fleur qui embaume l'air, un visage qui nous émeut, une main qui esquisse un geste de tendresse, nous nous attarderons sur cette terre si souvent dévastée.

François Cheng

dimanche 3 décembre 2023

C'est l'esprit du temps qui parle...

« L’artiste est l’interprète des secrets de l’âme de son temps, sans le vouloir, comme tout vrai prophète, parfois inconsciemment à la manière d’un somnambule il s’imagine parler du fond de lui-même, mais c’est l’esprit du temps qui parle par sa bouche et ce qu’il dit existe .»
 Jung , L'Âme et la Vie
 
 Je reprends cette citation rencontrée de nouveau il y a quelques jours, elle retranscrit pour moi cette collaboration étroite entre le visible et l'invisible que chacun peut vivre chaque jour en laissant s'exprimer son élan créatif. Cet élan appartient à tout un chacun, c'est un art de vivre le beau et le bon : beauté du geste, du regard, de la parole et de la pensée, de l'action...


(...) Toutes les aurores et tous les couchants, tel mont et telle mer, tous les arbres et toutes les fleurs, tel félin et tel oiseau, la prairie sans borne parcourue par de superbes chevaux au galop, le ciel sans fond éblouissant d'étoiles incandescentes.(...) 
Ne voyons nous pas que dès l'origine le désir de vie s'accompagne du désir de beau, prime signal de sens et de valeur ? Il y a l'âme du monde qui aspire à la beauté, et il y a l'âme humaine qui y répond par la création artistique, à multiples facettes, propre à une âme aimante - beauté du regard, du geste, de la donation qui porte le beau nom de "sainteté".
Francois Cheng, de l'âme, p16.



Un élan créatif qui jaillit du plus profond de soi, dans le non jugement et en résonance avec les besoins de son âme.  Dans une grande fragilité, humblement et transparent devant soi-même, on peut vibrer ainsi avec l'âme de l'univers. On y ressent l'amour, le beau, le bon et l'inattendu qui réparent nos blessures et nous allègent du passé.
Aminé de cette énergie de Vie, tout devient possible à qui perçoit les émotions qui le traversent comme un appel au dialogue.
A l'image du poète qui fait de sa tourmente une rencontre avec l'universel, nous pouvons accueillir nos  blessures en laissant la divine magie de nos émotions opérer la transformation : on transforme le rejet de soi estime de soi, la peur de l'abandon en sécurité intérieure, l'injustice en confiance, la fusion en besoin d'autonomie...
En vivant ainsi toutes les dimensions sensibles de notre être et guidé par notre âme artiste, on   découvre  ce qui se révèle du fond de nous-même.  Quelque chose,  qui à la fois nous dépasse et nous ressemble, nous conduit au nouveau et participe tout entier à la conscience éveillée du monde. Quelque chose qui nous rappelle la valeur de la sensibilité et de la subtilité pour laisser s'exprimer de tout notre être  l'esprit du temps à chaque instant.

samedi 2 décembre 2023

Donnons une valeur à l'Âme

Mont Lu
"Dans notre société, c'est l'esprit qui est le critérium de valeur. On juge la valeur de quelqu'un par sa contribution à la société, par un travail d'esprit : intelligence, génie, innovation pour faire avancer la société.  De ce point de vue, cela se comprend.
D'un point de vue existentiel et ontologique, cela se discute parce que l'âme est cette entité qui reste toujours entière alors que l'esprit peut connaître la déficience ou même l'effondrement. La moindre attaque du cerveau peut nous précipiter dans l'hébétude.
Est-ce que tous ces êtres, tout d'un coup, sont devenus des êtres sans valeur ?
Prendre l'esprit comme critère de valeur, il y a beaucoup de danger.
Prendre l'Âme comme critère de valeur, c'est plus sûr."


François Cheng, le 17.11.16 dans la Grande Librairie

lundi 13 novembre 2023

L'empathie

L'empathie, une définition cristalline et pure qui coule comme une source

"L'empathie c'est, à la vitesse de l'éclair, sentir ce que l'autre sent et savoir qu'on ne se trompe pas, comme si le cœur bondissait de la poitrine pour se loger dans la poitrine de l'autre.
C'est une antenne en nous qui nous fait toucher le vivant : feuille d'arbre ou humain. Ce n'est pas par le toucher que l'on sent le mieux mais par le cœur. Ce ne sont pas les botanistes qui connaissent le mieux les fleurs et les psychologues qui comprennent le mieux les âmes, c'est le cœur. Le cœur est un instrument d'optique bien plus puissant que les télescopes de la NASA. C'est le plus puissant organe de la connaissance, et c'est une connaissance qui se fait sans aucune préméditation, comme si ce n'était plus nous qui faisions attention à l'autre, comme s'il n'y avait plus qu'une attention pure et une bienveillance fondée sur la connaissance de notre mortalité commune. (...) Dans L'empathie, on peut prendre soin d'autrui comme jamais il ne prendra soin de lui-même, par une attention tendue comme un rai de lumière, mais il n'y a aucune emprise psychique sur lui. C'est l'art double de la plus grande proximité et de la distance sacrée."

Texte issue de "la lumière du monde" de Christian Bobin, p.16-17, ed. Folio

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Le pêcheur de Kajikazawaou (du peintre Hokusai)


Un pêcheur est en équilibre entre deux univers d'une part le ciel et l'eau d'un bleu intense et d'autre part la terre dont les couleurs vert et jaune fusionnent. Ses lignes plongent dans les profondeurs de l'Océan, au loin se découpent les courbes sacrées du Mont Fuji.

A l'image de ce pêcheur, nous sommes en ce moment dans cet équilibre difficile à trouver entre la folle envie de décrocher et la réalité concrète qui nous rappelle chaque jour, avec soin, nos différentes tâches. Si le pêcheur rêve et contemple l'océan qui lui offre un espace onirique de choix, il ne pensera plus à jeter ses lignes. Mais la nécessité de sa condition humaine lui demande de les jeter pour vivre. Il les jette, plongeant ainsi dans les fonds inconnus de l'océan. Son corps est tendu relié à la ligne qui explore les profondeurs. Mais a-t-il peur ?

Il semble serein à explorer cet inconnu qui recèle certainement de trésors qu'il doit avec patience et avec persévérance découvrir. La grande difficulté d'un tel passage, c'est de savoir comment transformer nos peurs. Celles-ci peuvent nous envahir et se transformer en sentiment de rejet, ou encore en réactions désagréables (jalousie, rancoeurs, sentiments d'injustice, désir de faire sa propre justice, stimulation de l'énergie instinctive) .

Si le pêcheur à la fin de sa journée retire sa ligne sans aucune prise vivra-t-il un sentiment d'injustice par rapport à la vie ou reviendra-t-il le lendemain pour reproduire le même geste ?

Si on écoute la sagesse du moment, il faut répéter chaque jour les mêmes gestes avec une grande rigueur et une recherche de perfection. Si le pêcheur reproduit sa tâche avec patience, il finira par voir ses efforts récompensés et une pêche miraculeuse lui sourire. Bien entendu, le miracle vient des profondeurs de l'Océan qui symbolisent ici les profondeurs de notre inconscient.

La présence du Mont Fuji résonne au lointain d'un son sacré et son rayonnement divin facilite la remontée, à la lumière du jour, des sombres fonds de l'océan.

A chacun, dans les mois qui arrivent, de trouver le son sacré qui lui fera explorer sans crainte ses nouvelles profondeurs intérieures et croire à leurs possibles transformations. Ces dernières, à la lumière du jour, seront le moteur de nos projets futurs, incontournables et salutaires, pour se découvrir, s'épanouir et se ré-inventer."

samedi 11 novembre 2023

Aimer c'est devenir un monde pour soi-même...

(...) Aimer n'a d'abord rien d'une absorption, d'un abandon ou d'une union avec l'autre ( car que serait l'union de choses qui ne sont pas éclaircies, ne sont pas achevées, ne sont pas encore mis en ordre ?), c'est une sublime occasion pour l'individu de mûrir, de devenir quelque chose en lui-même, de devenir un monde,  de devenir pour l'amour de l'autre un monde pour lui-même, c'est une grande  exigence qui s'adresse à lui, qui en fait un élu et l'appelle à l'immensité. (...)

Lettres à un jeune poète,
Rainer Maria Rilke, le 14.05.1904.