(...) Je ne connais pas d'apôtres du néant sinon par imposture. Ce qu'on veut nous faire croire aujourd'hui, ce que clame cette littérature de la nuit, c'est que la vérité est toujours plus du côté du mal que du bien. Une croyance comme celle-là signale la disparition d'une personne. C'est une disparition bien plus profonde que la mort. Celui qui pense que la vérité est du côté du mal s'assoit très profondément dans le fauteuil de l'air du temps, et il n'est pas près d'en sortir. C'est pire qu'un lieu commun. Celui qui s'y assied , on ne le revoit plus : il peut parader, briller, avoir des succès, mais lui, on ne le revoit plus jamais. Il cesse immédiatement d'être une personne. Si j'ai fait une erreur, ce n'est donc pas de parler d'amour, c'est d'en parler de façon imprécise. Car je crois que l'intelligence cherche toujours quelque chose à aimer, le but étant de devenir soi-même le ciel étoilé. La vie est une fête de sa propre disparition : la neige, c'est comme des milliers de mots d'amour qu'on reçoit et qui vont fondre, les roses sont comme de petites paroles brûlantes qui vont s'éteindre, et celui qui arrive à les déchiffrer doit être d'une précision hallucinante s'il veut être cru, s'il veut parvenir à faire voir à d'autres ce qu'il a vu. (...)
Christian Bobin, la lumière du monde, p.43, ed. Folio