jeudi 11 avril 2019

Victor Hugo aurait-il pu sauver Emma Bovary ? Episode 1 (fiction)

Il est 9h50 dans le cour de français de Mr Truc... du lycée Arthur Rimbaud :
- "ça fait 50 min qu'Emma Bovary n'en finit plus de mourir, vivement la sonnerie."
Pas beaucoup d'espoir. La pauvre Emma qui vient d'avaler un flacon d'arsenic, s'éteint de ligne en ligne dans d'atroces souffrances.
À 15 ans, en seconde c'est Flaubert,  et Emma Bovary c'est lui. Mais c'est aussi, Mr Truc...., le prof de français car il insiste tellement sur ce passage que l'on sent bien un mélange d'admiration et d'empathie désespérée pour Emma. Il ne dit pas voilà où vous mènera l'illusion, mesdemoiselles, mais on l'entend quand même.
Rodolphe, lui, il est aussi dans les couloirs du lycée. Il est charmant, pas trop charmeur et toutes les filles sont à ses pieds. À chaque récré, il cherche la part d'Emma Bovary en chacune d'elles, mais il en oublie la sienne.
Emma, la vraie, a succombé à son charme. Elle souffre, la pauvre, d'un mortel ennui dans sa campagne normande et d'un manque d'amour inouïe dans son cœur fissuré depuis l'enfance. C'est une proie facile. Elle se perd dans le dédale de ses rêves, se projetant vers un idéal illusoire qui sera son unique espoir et puis son dernier désespoir.

Son dernier désespoir, c'est comme ça que commence le film de Sophie Barthes, à 9h50, 30 ans plus tard dans une salle de cinéma. Cette fois, la prof de français, une délicieuse personne, accompagne sa classe de seconde pour lui faire découvrir l'oeuvre de Flaubert. 
Emma court sur un chemin dans la forêt. Elle tombe et meurt après quelques gémissements, un petit flacon vide dans la main droite. 
Au moins, le décor est posé, pour celles et ceux qui ne connaissaient pas l'histoire. Mais au XXIe siècle, sans n'est fini de l'agonie interminable.  
Aucun bruit dans la salle, la vie d'Emma défile en rétrospective : le rêve, l'illusion, l'ennui, la folie, le désespoir. Rien, sous la main qui puisse partir, pour elle, à travers la campagne, et au-delà des routes boueuses, comme messager portant en son sein la phrase miraculeuse : "...hobby.....vous êtes mon seul espoir !"

En effet, des hobbies, Emma, elle en manque un peu. Elle tourne en rond dans sa maison, dans l'humidité grisâtre de la Normandie et l'histoire est résumée ainsi :
"Emma Rouault, fraîchement sortie du couvent, a épousé Charles Bovary, un médecin de campagne qui se réjouit d’avoir trouvé la compagne parfaite. Emma occupe ses journées à aménager sa nouvelle demeure, dessine, joue du piano et reçoit avec élégance les visiteurs. Cette vie monochrome auprès d’un époux sans raffinement est bien loin des fastes et de la passion auxquels elle aspire. Ses rencontres avec M. Lheureux, habile commerçant, le Marquis d’Andervilliers, et Léon, jeune clerc de notaire, vont rompre la monotonie de son existence.

Finalement, elle a tout pour être heureuse : un mari médecin de campagne qui s'use la santé au chevet des malades, une maison paumée en rase campagne, et aucune amie pour prendre un thé et papoter.
Emma, jouée par Mia Wasikowska, ne connaîtra jamais Rodolphe. Il a disparu en 2015. Mais le réalisme impitoyable de Flaubert sévit, quand même dans le film, notamment dans la scène de la chasse à cour. Le Marquis d'Andervilliers tue, sous les yeux d'Emma, un magnifique cerf et essuie son coupeau ensanglanté sur le tronc d'un arbre. La pauvre femme, déjà séduite par ses doux yeux, frissonne de dégoût et d'effroi. C'est à ce moment là qu'on déteste Flaubert et son réalisme qui ne laissent aucune place aux rêves.
Emma est entourée de chiens qui aboient  féroces comme des fauves, seule femme au milieu d'hommes connectés à leurs cerveaux mammaliens. Mais pour Flaubert, les femmes, qui s'ennuient, aiment les ogres immondes. La Belle n'aura pas le droit à la poésie de la Bête. Et notre Emma ira se perdre, sous la caméra de Sophie Barthes, dans les bras du marquis qui dévorera ses rêves.

Notre Belle Emma, dans les griffes de son amant, s'enfonce peu à peu dans l'illusion, mais qu'en est-il de Flaubert au même moment ?

Suite au prochain épisode...

Aufélie Blanchard et Native Ellerkamp