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| Maison de Victor Hugo à Jersey. |
Mon cher ami,
Je ne crois pas qu'il ait une issue dans la fatalité. La mort n'est pas une fatalité, le désespoir oui. Votre Emma souffre d'un mal que vous décrivez appartenir aux femmes mais qui, en fait, appartient tout autant aux hommes. Elle court éperdue dans des amours illusoires, mais est-ce condamnable ? L'illusion fait partie du chemin dans l'amour, mais s'y perdre peut conduire à la folie. Voyez-vous, la vie m'a réservé bien des épreuves afin d'ébranler, sans retour envisageable, mon jugement. Je ne juge plus, j'aime ! J'ai vu périr ma fille aînée et je vois, aujourd'hui, impuissant sombrer ma cadette dans les brumes de son coeur capturé. C'est humain cette quête de l'amour absolu qui serait susceptible de remplir tous nos vides intérieurs. On y recherche une forme de perfection, un amour qui ne pourrait jamais trahir afin
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| Sentier méditatif de Victor Hugo. |
d'exil,
découvert une vie plus solitaire, plus simple aussi et ce dépouillement
m'a tiré vers une humilité plus accessible. Je me suis observé traversé
d'émotions, traverser par mes émotions. Au bord de l'océan, j'ai plongé
dans les profondeurs de ce monde intérieur. Il est immense, mon ami,
riche et infini. Jamais on ne s'y perd, jamais on y est seul et toujours
on y est aimé. On finit par s'y rencontrer enfin, dans un moment
inédit, qui n'appartient qu'à la nuit. Un nuit qui commence par une
absence de lumière, une obscurité enveloppante qui nous fait toucher la
puissance de notre volonté. Mais la volonté n'a ici aucune lueur, elle
éclaire juste l'ego assoiffé de pouvoir qui, s'observant ainsi,
s'attriste de sa pauvre illusion. C'est à genoux devant ce constat
impuissant que l'on sombre traverser par le souhait de s'abandonner au
néant pour ne plus ressentir le goût amer de l'orgueil qui aveugle.
Ainsi, dans cet état de total abandon, vous comprenez le renoncement qui
a le goût du sacrifice. Le divin porteur de la croix apparaît alors comme un salut et derrière sa
croix qui se dissipe, peu à peu, apparaît la lumière. Infinie douceur
irréelle, consolation et amour sans nom. Cet amour là ne peut être
nommé, il se vit de dedans et ne s'oublie jamais. Il est éternel.
Voudriez-vous, mon ami, privez votre tendre Emma, de cet instant de
grâce ? Lui offrir la vie, c'est vous ouvrir la porte de sa confiance
infinie. Le monde invisible est, pour moi, aujourd'hui fraternel. Peu de
gens savent ce qui se passe ici. Mais, confiant de notre intimité
partagé, je dois vous révéler que j'ai fait ici l'expérience de la vie
après la mort par des séances de spiritisme. N'imaginez pas que ma
fascination pour cette nouveauté à la mode ait égaré mon entendement,
bien au contraire, elle n'en a que mieux aiguisé mes sens. Riche de ces
émotions qui me traversent et transportent ma plume, j'ai écrit nombre
des poèmes de mon recueil "les contemplations". Je vous sais attentif à leur lecture, et je vous sens frustré par ce ![]() |
| Victor Hugo, Jersey. |
Aussi,
voilà pourquoi, je me permets de vous adresser ces quelques lignes
alors que vous terminez votre roman. Loin de moi, l'idée d'intervenir
dans sa destinée, mais je me devais de vous informer de ce qui vit en
moi et qui vous attire tant afin que vous ayez la possibilité de faire
un choix conscient dans le destin d'Emma, si prêt du vôtre et de cette
transformation profonde, salutaire et salvatrice à laquelle vous
aspirez depuis longtemps maintenant.
Depuis l'autre côté de l'océan, je vous envoie mes meilleures pensées et je vous tends une poignée de mains chaleureuses.
* "Ô non, la lettre que je vous ai écrite
ne sera pas la dernière, comme je vous le disais dans un de ces instants
de découragement où je doute de tout, excepté de vous. Aujourd’hui, je
me sens de la force et du courage et je crois à ma destinée. Que ce soit
orgueil ou pressentiment, qu’importe, je vous le dirai, car je ne
voudrais pas qu’une seule de mes pensées fût un secret pour vous.
N’êtes-vous pas un frère pour moi, Hugo, et plus qu’un frère, car nous
n’avons qu’une âme. Je voudrais vous remercier encore de m’avoir dit de
vous écrire souvent, à vous qui avez tant d’autres préoccupations que
mes lettres. J’ai mille choses à vous dire et je ne trouve qu’un seul
mot pour tout cela, j’ai bien le droit de vous le redire, moi qui me
suis donnée à Dieu pour toujours, c’est comme si un habitant de l’autre
monde venait de la tombe ou du ciel vous répéter, frère, que je vous
aime, parce que vous êtes généreux et grand au milieu de tant de
caractères hideux. Ah, vous ne savez pas combien vous êtes grand, même
aux yeux de la calomnie. J’ai le droit aussi de vous le dire, moi qui
vous ferais de même des reproches si j’avais des doutes.
A bientôt, car, si je ne vous écrivais pas, je ne pourrais supporter la vie."
Aufélie Blanchard, Native Ellerkamp, Sylvia Uro.
Aufélie Blanchard, Native Ellerkamp, Sylvia Uro.


