lundi 19 septembre 2016

Lettre à Elvire

D'après la tirade de Done Elvire, abandonnée et trahie par Don Juan, acte IV, scène 6, lorsqu'elle revient le voir, lui dit  qu'elle lui a pardonné et qu'elle s'inquiète pour lui mais qu'elle n'a d'autres choix que de s'enfermer dans un couvent. 

Chère Elvire,

Festival d'Avignon juillet 2016
Quel âge avez-vous aujourd'hui ? Vous vous êtes retirée du monde mais vos mots y résonnent encore. 
 Vous êtes tombée dans les travers de l'illusion. Mais est-ce condamnable au point de vous priver de la beauté autour de vous ? Nous sommes ici et nos vies nous offrent une scène parfaite où se jouent acte par acte, les situations que nous choisissons d'expérimenter. Ainsi, vous avez exploré la trahison et l'abandon. L'illusion vous a portée dans vos rêves les plus fous et vous avez pris le risque d'aimer. Non, vous n'êtes pas aussi naïve qu'il n'y paraît, vous avez simplement accepté de vivre, pour ressentir de l'intérieur la folle envie de croire les mots qui vous ont touchés. C'est humain et par essence imparfait, mais si prometteur d'avenir. Vous avez cru à l'amour et à son don sincère, ce n'était pas une erreur juste un chemin, le vôtre. Mais que vous fallait-il faire pour être aimée dans ce monde ? Il y avait un voile devant vous et vous n'avez pas compris la scène qui se déroulait. C'est aussi une erreur que de projeter sur l'autre un idéal d'amour absolu auquel on aspire en secret. On ne peut qu'être déçu mais cela aide à comprendre que cet amour-là n'est pas humain mais divin. On y trouve alors  une ouverture qui rapproche de ses profondeurs, permet d'y plonger et d'y rencontrer la lueur d'espoir qui change tout et vous montre  une autre route.

Pour Don Juan, la vie est un théâtre d'expériences et tout y est permis. Il explore les infinies possibilités du libre arbitre et ignore toutes les règles de moralité. C'est une possibilité. Chacun en ce monde choisit ses valeurs. Cependant, peut être cela vous aiderait-il d'entendre que votre trahison est aussi la sienne. Votre abandon est aussi le sien. En effet, ce sont sa loyauté, sa sincérité  et sa décence qu'il abandonne. Il ignore la réciprocité de l'amour et slalome entre  l'euphorie et la frustration, entre la manipulation et la destruction, entre sa vie et sa mort qu'il défie sans cesse. Pourtant, il y a quelque chose de bon en lui, d'honorable, il peut sans réfléchir sauver la vie d'un homme, et votre frère en est témoin. Alors quel est ce mystère ?  En somme, comprenez-vous, c'est la sienne de vie qu'il n'arrive pas à sauver. Vos mots résonnent, Elvire, parce que le renoncement vous a aidée. Vous avez  transformé votre attachement afin de  grandir dans l'amour sans condition, celui qui se place au-dessus de tout, qui élève l'âme et sacrifice le cœur. Vous l'aimez ainsi aujourd'hui et vous consacrez votre temps à penser à votre repentir et même à penser au sien. C'est une erreur. De nos jours, cet enfermement n'est plus nécessaire. Regardez vous avec bienveillance, regardez vous en amie, votre souffrance ne suffit-elle pas ? S'il avait su à quel point cela a été  difficile  de vous exprimer ainsi. S'il avait pu ressentir la violente douleur dans votre poitrine quand tout s'est révélé et s'il avait vu les larmes de votre cœur, peut-être aurait-il mieux compris ? L'amour amène à la compassion, et la compassion à la réparation. Il n'en a pas eu assez car il en a peu pour lui-même. A-t-il croisé ces fleurs pour qui, demeurer enfermer dans leur bourgeon, est plus douloureux que de fleurir mais dont la sensibilité est telle qu'elles peuvent se refermer devant la maladresse d'un papillon ? Ces fleurs là ne sont pas si rares, elles sont discrètes et secrètes. Elles se tapissent au fond
Compagnie la Carabela, comedia dell'Arte
de chacun de nous. Voilà ce qui se passe lorsqu'on blesse une personne, on abîme ses fleurs. On abîme  la vie dans ce qu'elle est de plus fragile et aussi de plus vivante. C'est l'énergie de vie que l'on renverse, que l'on immobilise dans la tristesse. Alors, de votre corps, il est nécessaire de reprendre conscience du mouvement, de reprendre conscience que tout ce qui y circule prouve qu'il est la vie même. Ne demeurez pas figée dans votre douleur. Vous avez pardonné alors pardonnez vous aussi pour toutes vos maladresses et laissez la vie vous retraverser,  laissez vos émotions danser et rencontrer l'authenticité. Prenez conscience, chère Elvire, qu'il s'agit en fait d'une danse, celle du déploiement de vos dons créatifs et intuitifs et revenez dans le monde pour y goûter la saveur du lendemain et de sa promesse d'avenir. 


Texte Inspiré après  la représentation au festival d'Avignon de Don Juan de la compagnie La Carabela ( juillet 2016). 
 Une tragi-comédie de Molière, inspirée de « El Burlador de Sevilla », pièce de l’auteur espagnol Tirso de Molina.
Mise en scène de Carlo Boso
Maitre d’armes : Florence Leguy
Chant: Sinda Elatri
Dance: Karine Gonzalez

https://www.facebook.com/lacompagnielacarabela/?fref=ts