samedi 27 mai 2017

Le coeur, un travailleur solaire.


Il est rare de rencontrer quelqu'un, qu'on voit beaucoup de monde ou que l'on soit ce qu'on appelle un solitaire. La plupart des gens rendent très difficile de les rencontrer parce qu'ils ne sont pas vraiment dans leur parole ou parce qu'ils sont sans âme.
Je fais toujours à l'autre le crédit incroyable de son existence, mais ce crédit va s'user si l'autre a gâché cette merveille-là pour devenir comme tout le monde. Comment parler avec personne ? c'est impossible. Parfois le désir de partager est si fort que je vais, quand même tenter ma chance, mais souvent en vain. Les opinions ne m'intéressent pas. Ce qui me touche c'est quand l'autre met tout le poids de sa vie dans la balance des mots et que sa pensée s'appuie sur ça.
(...)
J'ai toujours considéré qu'un écrivain avait plutôt des devoirs que des droits, et un de ces devoirs est d'aider à vivre. Si j'ai mis de la lumière dans mes livres, c'est aussi pour ne pas assombrir l'autre par courtoisie pour celui qui me lit. Il m'a toujours semblé qu'il existait assez d'écrivains qui se font le devoir d'assombrir la vie. Les artistes se donnent souvent une espèce de droit de grossièreté. Sous prétexte qu'ils aient du talent, ils croient avoir tous les droits. (...) le coeur est un travailleur solaire. Le courage n'est pas de peindre cette vie comme un enfer puisqu'elle en est si souvent un : c'est de la voir telle et maintenir malgré tout l'espoir du paradis.
(....)

Extrait de la lumière du monde, Christian Bobin.