mardi 12 mai 2020

"Vivre ensemble finement"...

Le mot confinement contient l’adverbe finement. Le confinement pourrait donc signifier « être ensemble finement », voire « vivre ensemble finement ».

 Inutile de consulter un dictionnaire : qui dit finement veut dire penser ou faire des choses avec finesse. Quelles sont les choses qu’on peut et doit faire avec plus de finesse ? Notre réponse : mais tout ! Nous n’oublions pas que nous sommes venus au monde en parfait ignorant et que nous avons dû apprendre les usages terrestres à partir de zéro. À commencer par apprendre à nous tenir debout, puis à avancer pas à pas vers l’espace qui s’ouvre devant nous. Sauf chez les plus doués d’entre nous, d’une façon générale, nos postures et nos comportements, autrement dit notre manière d’être, sont empreints de gaucherie et de maladresse ; il y manque trop de la grâce pour que nous soyons à même d’entrer en résonance avec l’invisible Souffle rythmique qui anime l’univers vivant. Nous sommes en quelque sorte d’éternels apprentis, d’éternels amateurs. Il y a toujours lieu d’améliorer notre approche de la vie, avec plus de lucidité et de finesse. Le confinement obligatoire nous en donne l’occasion.

D’abord, dans notre rapport avec les choses qui nous entourent. Il fut un temps où l’humanité était plus humble, plus patiente. Elle chérissait les choses qui étaient à son service. Elle en connaissait le prix, éprouvait à leur égard de la gratitude. Il s’établissait entre les humains et les choses un lien de sympathie, pour ne pas dire de connivence. On gardait les choses le plus longtemps possible, même quand elles étaient rongées d’usure. On rapiéçait les chaussettes, on ravaudait les chemises, on réparait les porcelaines fêlées, on entretenait avec vénération les meubles légués par les aïeux. Ainsi traitées, les choses prenaient un aspect personnel, revêtaient un coloris intime.
Mais depuis une ou deux générations, nous assistons à l’avènement du jetable. Du coup, nous n’entretenons plus le même rapport avec les choses. Les traitant de haut, nous ne leur portons ni attachement ni affection. Elles sont usées par nous, dans l’indifférence. Arrive le moment où elles se montrent moins efficaces, nous les fourrons sans ménagement dans le sac-poubelle. Hop là, un bon débarras ! Ni vu, ni connu. Tout cela ne nous éduque pas dans le sens de l’attention du respect, encore moins de la douceur et de l’harmonie. Il arrive bien souvent qu’inconsciemment, aux heures de nos désœuvrements, nous nous agacions de la présence des choses, parce qu’elles nous renvoient l’image de nos propres désarrois.

Le confinement est l’occasion de réapprendre la valeur des choses qui nous entourent. Celles-ci, nous le savons, ont une âme, même un bout de ruban, même une épingle. Elles ont acquis une âme, pour avoir été les témoins de notre vie. Elles conservent précieusement nos souvenirs, que nous avons relégués aux oubliettes. Elles peuvent nous être d’un soutien secourable si nous consentons à en faire des interlocuteurs valables. Elles sont là, pour nous rappeler que la vie n’est pas forcément un gâchis total. Elles sont là pour nous appeler à la fidélité.
Après notre rapport avec les choses, venons-en à celui, plus complexe, que nous entretenons avec les êtres. Le confinement crée des conditions pour vivre en compagnie des êtres qui nous sont chers, nuit et jour, sans une seconde de séparation. Au lieu de nous en réjouir, nous voilà paniqués. Jusqu’ici en effet, nous n’avons pas conçu la vie ainsi ; chacun a ses occupations, jouit des possibilités d’évasion. On découvre, effarés, qu’un tête-à-tête permanent est un casse-tête, que trop de promiscuité tue la vraie intimité. On en vient à avoir la nostalgie d’une certaine distanciation. Or, justement, en même temps que le confinement, on nous recommande de garder une « distance sociale », et si possible de ne pas se toucher. Cette situation, apparemment contradictoire, nous incite à une réflexion plus fine. Dans notre société, les sentiments d’affection s’expriment par un ensemble de paroles et de gestes très démonstratifs, une effusion ignorant les barrières. On s’adore, on s’embrasse, on baigne sans répit dans une mare de sentimentalité. C’est certes tout ce qu’il y a de positif. Sauf qu’en vase clos, pour peu que survienne un accroc, ces mêmes paroles et gestes, prononcées, effectués machinalement, ou devenus trop envahissants, étouffants, dégénèrent en chamailleries, quand ce n’est pas en violence.
Me revient alors en mémoire l’injonction de Confucius qui prônait dans les relations humaines, le « li », terme qu’on peut traduire par « le rituel du respect mutuel », un rituel fondé sur le principe de la distance juste. Selon le sage, seul ce principe permet de rendre durable l’attachement le plus profond. À partir de ce principe d’ailleurs, ses disciples conseillaient d’introduire dans le lien conjugal une forme d’amour courtois où chaque conjoint traite l’autre en hôte d’honneur. Les circonstances actuelles, pleines de paradoxe, me poussent ici à rappeler ce que Confucius avait proposé, 2 500 ans auparavant ; mais je mesure parfaitement ce qu’il peut y avoir d’inconcevable pour les gens d’aujourd’hui.
Après le rapport avec les choses et les êtres, comment ne pas aborder enfin le rapport avec soi-même. Dans le confinement, le sentiment qui domine chez chacun est la peur de se trouver seul à seul avec son ombre. Inévitablement, nous pensons à notre cher Pascal qui déplore que l’homme ne sache pas demeurer dans une chambre ; en proie au divertissement, il cherche à se fuir pour ne pas dévisager le destin, le sien. Entre quatre murs où rien d’inespéré ne peut advenir, quel mortel ennui ! Pourtant, la chambre peut contenir plus de présence et de richesse qu’on imagine. Il y a la mémoire de notre passé chargé d’orages, de remords, mais également de moment de félicité, il y a le présent à méditer et à métamorphoser, un présent bouleversé cette fois-ci par les actes héroïques des soignants et de tous ceux qui aident ; par les SMS reçus, qui donnent lieu à un authentique partage dans l’épreuve ; il y a le futur à préparer, un futur ouvert qui ne sera plus comme avant.

À ce point de réflexion, l’idée me vient d’évoquer un épisode dans la vie de Jakob Böhme, le grand mystique du XVIIe siècle. Un après-midi de solitude dans son sombre logis, il voit un rayon de lumière qui entre par la fenêtre et qui s’attarde sur un ustensile en étain. L’humble objet renvoie des reflets irisés. Soudain, il est ému jusqu’aux larmes et, empli de gratitude, il tombe à genoux. Un matérialiste pur et dur viendrait nous expliquer doctement que tout cela relève de la loi physique, qu’il n’y a vraiment pas de quoi s’émouvoir là-dessus. Mais Böhme voit autre chose, il voit qu’au sein de l’éternité, en ce coin perdu de l’immense univers apparemment muet et indifférent, un instant de miracle a lieu, ce rayon de lumière qui vient iriser l’après-midi terrestre où un humain anonyme, poussière d’entre les poussières, a pu capter la scène et, avec son œil ouvert et son cœur battant, être submergé par l’émotion. Qui peut expliquer cet insondable mystère ? Il n’y a peut-être rien à expliquer. Il y a la vie qui est là, miraculeusement là, à recevoir comme un don inouï. Chacun dans sa chambre, à sa manière unique, doit se tenir prêt à accueillir le rayon de vie qui se donne là, comme un ange annonciateur, comme un hôte d’honneur."

FRANÇOIS CHENG, texte publié dans le Figaro, mai 2020.


lundi 11 mai 2020

Etre heureux...



 "Vous pouvez être défectueux, anxieux et parfois irrité, mais n'oubliez pas que votre vie est la plus grande entreprise du monde.
 Vous seul pouvez l'empêcher de décliner.
 Nombreux sont ceux qui vous apprécient, vous admirent et vous aiment.  Et tu ne sais pas mais il y a des gens pour qui tu es spécial.
 J'aimerais que vous vous rappeliez qu'être heureux, ce n'est pas avoir un paradis sans tempête, une route sans accident, un travail sans fatigue, des relations personnelles sans déceptions.
 Être heureux, c'est trouver la force dans le pardon, l'espoir dans les batailles, la sécurité dans la boîte de la peur, l'amour dans les désaccords.
 Être heureux, ce n'est pas seulement valoriser le sourire, c'est aussi réfléchir à la tristesse.
 Il ne s'agit pas seulement de commémorer le succès, mais de tirer les leçons de l'échec.
 Ce n'est pas seulement avoir de la joie avec les applaudissements, mais avoir de la joie dans l'anonymat.
 Être heureux, c'est reconnaître que la vie vaut la peine d'être vécue, malgré tous les défis, la tristesse, les malentendus et les périodes de crise émotionnelle et économique.
 Être heureux n'est pas un destin, mais une conquête pour ceux qui savent voyager dans leur propre être.
 Être heureux, c'est cesser d'être victime de problèmes et devenir acteur de votre propre histoire.
 C'est traverser des déserts hors de soi, mais pouvoir trouver une oasis au plus profond de notre âme.
 C'est remercier Dieu chaque matin pour le miracle de la vie.
 Être heureux, ce n'est pas avoir peur de ses propres sentiments.
 C'est savoir parler de soi.
 C'est avoir le courage d'entendre un «non» même de la part de ceux que vous aimez.
 C'est avoir la sécurité de recevoir des critiques, même si c'est injuste.
 C'est embrasser les enfants, chouchouter les parents, avoir des moments poétiques avec des amis, même s'ils nous blessent.
 Être heureux, c'est laisser vivre la créature libre, heureuse et simple qui vit en chacun de nous.
 C'est avoir la maturité de dire «j'avais tort».
 C'est avoir l'audace de dire «pardonnez-moi».
 C'est avoir la sensibilité d'exprimer «J'ai besoin de toi».
 C'est avoir la capacité de dire «je t'aime».
 Que votre vie devienne un jardin d'opportunités pour être heureux ...
 Puissiez-vous être un amoureux de la joie dans vos sources.
 Puissiez-vous être un ami de sagesse et de paix pendant vos hivers.
 Et lorsque vous vous trompez en cours de route, vous recommencez.
 Eh bien, vous serez plus passionné par la vie.
 Et vous découvrirez qu'être heureux, ce n'est pas avoir une vie parfaite.
 Mais utiliser des larmes pour tolérer l'eau.
 Utilisez les pertes pour affiner votre patience.
 Utiliser les fallas pour sculpter la sérénité.
 De la douleur au plaisir de la pierre.
 Utilisez des obstacles pour ouvrir les fenêtres de l'intelligence.
 N'abandonnez jamais ...
 N'abandonnez jamais les gens que vous aimez.
 N'abandonnez jamais d'être heureux, car la vie est un spectacle à ne pas manquer! »


 Texte du Pape François

dimanche 3 mai 2020

Prendre soin de son enfant intérieur

Nous sommes tous des êtres uniques reliés les uns aux autres par nos vies actuelles mais aussi nos vies passées, plus ou moins lointaines, parfois très lointaines.

 Aujourd'hui "la pleine conscience" nous invite à instaurer un lien conscient avec l'essence de notre être.
Vivre en conscience serait ne jamais oublier le lien en nous entre ce que nous sommes aujourd'hui, au fil des jours et ce que nous sommes au fond de nous depuis toujours.
L'enfant intérieur décrit par Thich Nhat Han, c'est notre être profond, la partie la plus intime et spirituelle de notre âme. Aussi le lien à cet enfant intérieur est  très précieux car il a pu être abimé.
Les traumatismes vécus dans la petite enfance nous font retrouver ces blessures profondes et passées.  Elles se réveillent de façon cyclique dans la vie plus ou moins douloureusement. Quand le malaise se réveille que nous prenons consciences de la nécessité de guérir.  
L'idée est d'examiner avec soin nos sentiments d'aujourd'hui pour l'enfant que nous avons été hier et de comprendre  les blessures : s'agit-il de rejet, de tristesse, d'indifférence, d'oubli, de peur, de frustration, de culpabilité...
Parfois, c'est ici que nous avons besoin d'être accompagné pour restaurer le dialogue libérateur.
Toute notre transformation réside dans la restauration de ces liens intérieurs : " transformer mon rejet en accueil, éprouver de la compassion pour la tristesse de l'enfant que j'ai été dans telle ou telle situation, me consoler aujourd'hui de mes erreurs..."
 Il s'agit de réconforter notre enfant intérieur dont la sagesse est infinie en lui exprimant  la légitimité de son ressenti, de sa tristesse et de sa solitude. C'est ainsi que l'on se relie à la vie et que nos actions deviennent plus lumineuses, porteuses de plus d'harmonie.

Ces sentiments bienveillants transforment l'être dans ses profondeurs et ainsi, à la fin de chacune de nos vies, nous repartons enrichis de plus de tolérance, d'amour, de compassion...