mardi 31 mai 2022

Le pèlerin du Mont Lu

Le Mont Lu.
« C'est pour cette raison que, toujours, la beauté nous bouleverse. Il est des beautés pleines d'une lumineuse douceur qui, soudain, par-dessus ténèbres et souffrances, nous remue les entrailles ; (…) j'évoquais l'image de la montagne cachée par la brume. Elle me fait penser à l'expression du Mont Lu qui signifie en chinois « une vraie beauté », mystérieuse et insondable. »
(…)
Le poète sait qu'il cherche à rencontrer la montagne afin d'en vivre la beauté, il est aussi l'interlocuteur attendu. »
Cinq méditations sur la beauté, F Cheng.

Toutes les émotions expriment un besoin de dialogue. 

L'épreuve est vraiment de ne pas se laisser happer par l'obscurité qui pourrait aigrir nos pensées et voiler la lumière. Même derrière les nuages, même dans la nuit, la lumière est toujours là. J'aime beaucoup l'idée de la beauté naturelle car elle est le divin même. Dans son texte,  F. Cheng nous invite à cette contemplation du Mont Lu. Il est vrai qu'il apparaît comme une image surnaturelle, une élévation instantanée.  Elle vient nourrir le fond de notre être, nos profondeurs. C'est bien dans nos profondeurs que nous pouvons retrouver la paix et le lien à la lumière.

Depuis quelques jours, je suis interpellée par un sentiment, comme si toutes les consolations qui d'habitude coulent de source  les sourires, les joies simples du quotidien, les surprises... étaient difficiles d'accès. Il n'est pas nécessaire de décrire ce qui se voit et qui est partout en ce moment. Mais il est important de ne pas se laisser happer par les images, les discours et la confusion générale.
J'aimerai prendre une image, celui du pèlerin face au Mont Lu, pour exprimer comment s'accompagner sur ce chemin.

La montagne mystique de F. Cheng, le Mont Lu, est dans la brume. Si je contemple ce paysage, je peux être facilement transporté par lui, sa beauté insaisissable. Cependant, en ce moment, ce sentiment de transport est bloqué et je peux être surpris de ne pas le sentir, de ne pas en trouver de joie indicible face à cette beauté, ou encore de me sentir à distance. C'est un peu comme si j'étais mis à l'épreuve de ne pas perdre le chemin dans la brume qui me fait sentir la présence de la montagne. Si je gravis la montagne, je m'élève. Si je doute de sa présence, si je me décourage devant la difficulté à la voir, je reste dans la brume.

En traversant, cette période difficile, nous sommes un peu comme un pèlerin obligé de gravir la montagne dans la brume, sans pouvoir apercevoir les hauteurs ou parce qu’elles nous semblent inaccessibles.. Cependant, ce pèlerin sentira sous ses pas le sol et les efforts qu'il est contraint de faire pour monter, il sentira son souffle s'ajuster, il apercevra par moment partiellement le rocher qui se hisse vers le sommet. Sa patience et son endurance seront testés. Au final, il aura parcouru avec courage et non sans amour pour lui un long chemin, pressentant la beauté (le divin) sans jamais en avoir la certitude.

C'est un peu comme cela que nous cheminons en ce moment. L'horreur et la barbarie essaient de nous en éloigner.  Cependant, à l'image du pèlerin qui gravit, sans douter, avec courage et espoir le Mont Lu, nous pouvons trouver en nous les forces pour s'élever. A Chacun d'imaginer, une fois le sommet atteint et la brume dissipée, ce qu'il pourra y trouver car il sera dans son entière liberté, accueillant le goût de l'expérience transcendante venant nourrir son chemin unique et parfois solitaire (comme c'est le cas dans les moments où l'on traverse certains états émotifs seul. Mais n'oublions pas que la solitude nous propose ici la rencontre de notre "seule vérité", celle que nous sommes et que nous désirons plus que tout rencontrer.

lundi 30 mai 2022

La haute promesse de la vie....

(...) J'ai évoqué les œuvres de Vinci célébrant la beauté du corps et je devrais me rappeler un autre moment de communion au Louvre devant son tableau : La Vierge, l'Enfant Jésus et Sainte-Anne qui, lui, fait vivre la beauté de l'âme.
(...)
Depuis le haut vers le bas, de Sainte-Anne à Sainte-Marie, de Sainte-Marie à Jésus, de Jésus au petit agneau avec qui il joue, Chacun a un geste de donation et de protection, ouvrant par là un espace empli de tendresse et de crainte, de fragilité et de résolution. La haute promesse de la vie doit être tenue ; elle est tenue. Le bonheur de l'amour humain est là, indéniablement là. Cependant, un pressentiment le travaille déjà de l'intérieur : l'amour absolu est une donation totale, il est désarmé et sans défense.
(...)
Il m'est donné de comprendre que la vraie bonté ne se réduit pas à quelques bons sentiments ou sympathie de circonstances, encore moins à une sorte d'angélisme naïf ou bonasse. Elle est d'une extrême exigence. Parce que le mal est dans le monde sous toutes ses formes, le plus terrifiant étant celui que les hommes infligent aux autres hommes. L'homme, cet être doué d'intelligence et de liberté est "capable de tout". Beaucoup de d'âmes sont tendue vers l'élévation, sachant que là résident la vraie liberté.




Francois Cheng, de l'âme, p. 96 et p.97, ed. Albin Michel.

lundi 23 mai 2022

Devenir le ciel étoilé...



(...) Je ne connais pas d'apôtres du néant sinon par imposture. Ce qu'on veut nous faire croire aujourd'hui, ce que clame cette littérature de la nuit, c'est que la vérité est toujours plus du côté du mal que du bien. Une croyance comme celle-là signale la disparition d'une personne. C'est une disparition bien plus profonde que la mort. Celui qui pense que la vérité est du côté du mal s'assoit très profondément dans le fauteuil de l'air du temps, et il n'est pas près d'en sortir. C'est pire qu'un lieu commun. Celui qui s'y assied , on ne le revoit plus : il peut parader, briller, avoir des succès, mais lui, on ne le revoit plus jamais. Il cesse immédiatement d'être une personne. Si j'ai fait une erreur, ce n'est donc pas de parler d'amour, c'est d'en parler de façon imprécise. Car je crois que l'intelligence cherche toujours quelque chose à aimer, le but étant de devenir soi-même le ciel étoilé. La vie est une fête de sa propre disparition : la neige, c'est comme des milliers de mots d'amour qu'on reçoit et qui vont fondre, les roses sont comme de petites paroles brûlantes qui vont s'éteindre, et celui qui arrive à les déchiffrer doit être d'une précision hallucinante s'il veut être cru, s'il veut parvenir à faire voir à d'autres ce qu'il a vu. (...)


Christian Bobin, la lumière du monde, p.43, ed. Folio

dimanche 22 mai 2022

vendredi 20 mai 2022

La poesie : reflet de soi

Paysage de la dynastie Ming du peintre Shen Zhou.
"Si vous voulez connaître le pin, allez jusqu'au pin ; si vous voulez connaître le bambou, allez jusqu'au bambou. Cessez de songer à vous-même ; sinon, vous vous imposez vous-même sur l'objet, et vous n'apprenez pas. La poésie naîtra quand vous serez devenus un l'objet et vous, quand vous aurez plongé suffisamment loin dans l'objet pour voir quelque chose comme une lumière cachée y scintiller. Aussi bien formulée que soit votre poésie, si votre sentiment n'est pas naturel, si vous et l'objet êtes séparés, votre poésie n'est pas une vraie poésie, mais tout au plus une contre-façon de vous-même".
Matsuo Basho, poète japonais du 17e siècle.