lundi 22 avril 2019

Notre Dame de Paris

Porter la beauté de l'édifice en soi, sa force véritable et sa promesse de renouveau aussi inébranlable que les mots de Victor Hugo.

"Les grands édifices, comme les grandes montagnes, sont l’ouvrage des siècles.
(...) L’art nouveau prend le monument où il le trouve, s’y incruste, se l’assimile, le développe à sa fantaisie et l’achève s’il peut.
La chose s’accomplit sans trouble, sans effort, sans réaction, suivant une loi naturelle et tranquille. C’est une greffe qui survient, une sève qui circule, une végétation qui reprend.
Certes, il y a matière à bien gros livres, et souvent histoire universelle de l’humanité, dans ces soudures successives de plusieurs arts à plusieurs hauteurs sur le même monument. L’homme, l’artiste, l’individu s’effacent sur ces grandes masses sans nom d’auteur; l’intelligence humaine s’y résume et s’y totalise. Le temps est l’architecte, le peuple est le maçon."

Victor Hugo, Notre Dame de Paris.

dimanche 21 avril 2019

Tout est signe

Tout  ce que je croise sur mon chemin, j'éprouve le besoin de le repenser. Pour moi, rien n'est indifférent, tout est signe qui demande à être déchiffré.
Francois Cheng

jeudi 18 avril 2019

Le porteur d'eau


Un porteur d’eau indien avait deux grandes jarres, suspendues aux deux extrémités d’une pièce de bois qui épousait la forme de ses épaules. L’une des jarres avait un éclat, et, alors que l’autre jarre conservait parfaitement toute son eau de source jusqu’à la maison du maître, l’autre jarre perdait presque la moitié de sa précieuse cargaison en cours de route.
Cela dura deux ans, pendant lesquels, chaque jour, le porteur d’eau ne livrait qu’une jarre et demi d’eau à chacun de ses voyages.
Bien sûr, la jarre parfaite était fière d’elle, puisqu’elle parvenait à remplir sa fonction du début à la fin sans faille.
Mais la jarre abîmée avait honte de son imperfection et se sentait déprimée parce qu’elle ne parvenait à accomplir que la moitié de ce dont elle était censée être capable.

Au bout de deux ans de ce qu’elle considérait comme un échec permanent, la jarre endommagée s’adressa au porteur d’eau, au moment où celui-ci la remplissait à la source.
« Je me sens coupable, et je te prie de m’excuser. »
« Pourquoi ? » demanda le porteur d’eau. « De quoi as-tu honte ? »
« Je n’ai réussi qu’à porter la moitié de ma cargaison d’eau à notre maître, pendant ces deux ans, à cause de cet éclat qui fait fuir l’eau. Par ma faute, tu fais tous ces efforts, et, à la fin, tu ne livres à notre maître que la moitié de l’eau. Tu n’obtiens pas la reconnaissance complète de tes efforts », lui dit la jarre abîmée.

Le porteur d’eau fut touché par cette confession, et, plein de compassion, répondit : « Pendant que nous retournons à la maison du maître, je veux que tu regardes les fleurs magnifiques qu’il y a au bord du chemin ».

Au fur et à mesure de leur montée sur le chemin, au long de la colline, la vieille jarre vit de magnifiques fleurs baignées de soleil sur les bords du chemin, et cela lui mit du baume au cœur. Mais à la fin du parcours, elle se sentait toujours aussi mal parce qu’elle avait encore perdu la moitié de son eau.

Le porteur d’eau dit à la jarre « T’es-tu rendu compte qu’il n’y avait de belles fleurs que de ton côté, et presque aucune du côté de la jarre parfaite ? C’est parce que j’ai toujours su que tu perdais de l’eau, et j’en ai tiré parti.
J’ai planté des semences de fleurs de ton côté du chemin, et, chaque jour, tu les as arrosées tout au long du chemin.
Pendant deux ans, j’ai pu grâce à toi cueillir de magnifiques fleurs qui ont décoré la table du maître. Sans toi, jamais je n’aurais pu trouver des fleurs aussi fraîches et gracieuses.

jeudi 11 avril 2019

Victor Hugo aurait-il pu sauver Emma Bovary ? Episode 1 (fiction)

Il est 9h50 dans le cour de français de Mr Truc... du lycée Arthur Rimbaud :
- "ça fait 50 min qu'Emma Bovary n'en finit plus de mourir, vivement la sonnerie."
Pas beaucoup d'espoir. La pauvre Emma qui vient d'avaler un flacon d'arsenic, s'éteint de ligne en ligne dans d'atroces souffrances.
À 15 ans, en seconde c'est Flaubert,  et Emma Bovary c'est lui. Mais c'est aussi, Mr Truc...., le prof de français car il insiste tellement sur ce passage que l'on sent bien un mélange d'admiration et d'empathie désespérée pour Emma. Il ne dit pas voilà où vous mènera l'illusion, mesdemoiselles, mais on l'entend quand même.
Rodolphe, lui, il est aussi dans les couloirs du lycée. Il est charmant, pas trop charmeur et toutes les filles sont à ses pieds. À chaque récré, il cherche la part d'Emma Bovary en chacune d'elles, mais il en oublie la sienne.
Emma, la vraie, a succombé à son charme. Elle souffre, la pauvre, d'un mortel ennui dans sa campagne normande et d'un manque d'amour inouïe dans son cœur fissuré depuis l'enfance. C'est une proie facile. Elle se perd dans le dédale de ses rêves, se projetant vers un idéal illusoire qui sera son unique espoir et puis son dernier désespoir.

Son dernier désespoir, c'est comme ça que commence le film de Sophie Barthes, à 9h50, 30 ans plus tard dans une salle de cinéma. Cette fois, la prof de français, une délicieuse personne, accompagne sa classe de seconde pour lui faire découvrir l'oeuvre de Flaubert. 
Emma court sur un chemin dans la forêt. Elle tombe et meurt après quelques gémissements, un petit flacon vide dans la main droite. 
Au moins, le décor est posé, pour celles et ceux qui ne connaissaient pas l'histoire. Mais au XXIe siècle, sans n'est fini de l'agonie interminable.  
Aucun bruit dans la salle, la vie d'Emma défile en rétrospective : le rêve, l'illusion, l'ennui, la folie, le désespoir. Rien, sous la main qui puisse partir, pour elle, à travers la campagne, et au-delà des routes boueuses, comme messager portant en son sein la phrase miraculeuse : "...hobby.....vous êtes mon seul espoir !"

En effet, des hobbies, Emma, elle en manque un peu. Elle tourne en rond dans sa maison, dans l'humidité grisâtre de la Normandie et l'histoire est résumée ainsi :
"Emma Rouault, fraîchement sortie du couvent, a épousé Charles Bovary, un médecin de campagne qui se réjouit d’avoir trouvé la compagne parfaite. Emma occupe ses journées à aménager sa nouvelle demeure, dessine, joue du piano et reçoit avec élégance les visiteurs. Cette vie monochrome auprès d’un époux sans raffinement est bien loin des fastes et de la passion auxquels elle aspire. Ses rencontres avec M. Lheureux, habile commerçant, le Marquis d’Andervilliers, et Léon, jeune clerc de notaire, vont rompre la monotonie de son existence.

Finalement, elle a tout pour être heureuse : un mari médecin de campagne qui s'use la santé au chevet des malades, une maison paumée en rase campagne, et aucune amie pour prendre un thé et papoter.
Emma, jouée par Mia Wasikowska, ne connaîtra jamais Rodolphe. Il a disparu en 2015. Mais le réalisme impitoyable de Flaubert sévit, quand même dans le film, notamment dans la scène de la chasse à cour. Le Marquis d'Andervilliers tue, sous les yeux d'Emma, un magnifique cerf et essuie son coupeau ensanglanté sur le tronc d'un arbre. La pauvre femme, déjà séduite par ses doux yeux, frissonne de dégoût et d'effroi. C'est à ce moment là qu'on déteste Flaubert et son réalisme qui ne laissent aucune place aux rêves.
Emma est entourée de chiens qui aboient  féroces comme des fauves, seule femme au milieu d'hommes connectés à leurs cerveaux mammaliens. Mais pour Flaubert, les femmes, qui s'ennuient, aiment les ogres immondes. La Belle n'aura pas le droit à la poésie de la Bête. Et notre Emma ira se perdre, sous la caméra de Sophie Barthes, dans les bras du marquis qui dévorera ses rêves.

Notre Belle Emma, dans les griffes de son amant, s'enfonce peu à peu dans l'illusion, mais qu'en est-il de Flaubert au même moment ?

Suite au prochain épisode...

Aufélie Blanchard et Native Ellerkamp

mercredi 10 avril 2019

Victor Hugo aurait-il pu sauver Emma Bovary ? Episode 2 (fiction)

Gustave Flaubert
7h  du mat',  il a des frissons.  Seul dans son lit, dans ses draps blancs froissés, c'est l'insomnie. Il perd la tête et ses cigares sont tous fumés dans le cendrier. C'est plein de papiers et de tasses de thé, il est tout seul.  Chemise ouverte, cheveux défaits, il finit par se lever. La pluie ça le grise,  la brume ça le déprime et ce matin ses souvenirs lui serrent le coeur
Il pense à Maria, à ce premier amour qui lui a pris tout son être et faillit le rendre fou.  Il avait écrit ces mots en confidence à sa soeur : " En réalité, je ne voulais pas m’avouer que je l’aimais, et qu’au fond de moi-même je partageais toutes ses aspirations passionnées ». Aujourd'hui, avec Louise, c'était différent. Elle était de nouveau dans sa vie depuis son retour d'Egypte. Il alla vers la fenêtre, la brume était généreuse ce matin. Les cheminées au loin crapotaient leur fumée dans l'air frais.
Maison de G. Flaubert à Croisset, Normandie.
Rien ne le dérangeait, ce paysage familier le rassurait plutôt. Il vivait à Croisset, maintenant, avec sa mère depuis la mort de Caroline. Il avait quitté Paris où il se sentait comme un oiseau dans une cage afin de regagner la Normandie. Presque jamais, il ne descendait dans le jardin, ayant horreur du mouvement. Parfois, quand un ami venait le voir, il se promenait avec lui, le long d’une grande allée de tilleuls, plantée en terrasse et qui semblait faite pour les graves et douces causeries.



Le cabinet de Flaubert.
Mais ce matin-là, il eut envie de rallumer le feu, plus déranger par l'air humide que d'habitude. Il prit les bûchettes, les disposa dans le foyer et profita des braises de la nuit afin de relancer les flammes. Il regarda le feu naissant et s'assit sur son fauteuil entouré de ce décor qu'il chérissait. Son cabinet était très vaste, n’ayant pour ornement que des livres, quelques portraits d’amis et quelques souvenirs de voyage, des corps de jeunes caïmans séchés, des chapelets d’ambre d’Orient, un Bouddha doré qui dominait la grande table de travail, immobile et divin, et par terre, d’un côté, un immense divan turc couvert de coussins ; de l’autre un admirable buste sculpté par Pradier représentant Caroline.
La disparition de Caroline avait laissé un vide immense dans sa vie. Sa gaité, leur complicité et leur
Brouillon de Flaubert
tendresse réciproque, tout ce que de mieux, un frère et une soeur, pouvait partager, ils l'avaient connu. Il lui avait écrit ses plus profondes confidences. Le feu le réconfortait un peu. Plus que sa chaleur, c'était le crépitement du bois qui lui réchauffait le coeur. Il avait laissé, Emma, hier soir dans les bras de Rodolphe. Elle avait bien résisté à ses premières approches, offensée par son attitude cavalière. Mais voulant fuir sa vie monotone, elle avait fini par croire à ses feux ardents. Un voile se dessina sur le visage de Gustave. Les feux ardents ne brûlaient pas plus, chez Rodolphe, que les brindilles de son foyer. La passion, lui aussi, il l'avait connu, très jeune. Elle lui avait déchiré le coeur.  Cette morsure là, il l'avait écrite d'un trait à ses 17 ans dans son texte mémoire d'un fou. "Lui aussi avait connu ces instants où, grisé de bonheur, introduit dans le secret de l'univers, on s'imagine aimer au-delà du monde et pressentir l'éternité" (citation de Henri Guillemin).


Louise Colet
Aujourd'hui, Louise avait repris place dans sa vie. Mais son amour était très élastique. Elle aimait tout  : ses robes, ses amis, ses poèmes et surtout les hommes de succès à qui elle offrait ses charmes. Lui, le succès, ne l'intéressait guère, elle devait donc l'aimer un peu.
En laissant,  la pauvre Emma dans les griffes de son amant, il sentait au fond de lui un soulagement. En effet, trop de pulsions l'envahissaient, trop de colère encore, trop de colère dont il se libérait en jetant les mots sur le papier. L’écriture était son seul refuge. Il voulait oublier sa jeunesse de débauche, et vider le calice de la tentation par son exploration sur l'abjection humaine. Mais "l'illusion évanouie" laisse en nous son odeur de fée", avait-il écrit quelque part, il laissait ces mots résonner en lui.
 Emma était, pour lui, une créature sensible, seul Léon pouvait vraiment le voir. Sa délicatesse lui apportait du réconfort, de courts moments de grâce, de cette plénitude enivrante que Rimbaud décrirait plus tard ainsi :"la femme est un messager de l'infini, chargée de libérer l'âme humaine de sa prison terrestre pour la conduire, par sa beauté, à la lumière du jour".
Rodolphe, lui, était l'exemple même de l'amant peu vertueux. Mais bercée par ses lectures romantiques dans lesquelles elle retrouvait le comte d'Andervilliers, Emma avait peu développé sa méfiance. Elle pensait que l'amour suivait l'appel de l'âme afin de s'abandonner en réponse dans l'étreinte des corps. C'est sa crédulité qui le touchait, il était si proche d'Emma dans le fond. L'amour amoureux lui avait laissé un goût amer mais un autre type d'amour avait fait son apparition. Il se souvint de ses mots : 
"J’aime beaucoup le son de sa voix. J’ai pris plaisir à le contempler de près, je l’ai regard avec
Victor Hugo
étonnement, comme une cassette dans laquelle il y aurait des millions et des diamants royaux,réfléchissant à tout ce qui était sorti de cet homme, les yeux fixés sur sa main droite qui a écrit tant de belles choses. C’était là, pourtant, l’homme qui m’a le plus fait battre le cœur depuis que je suis né et celui, peut-être, que j aimais le mieux de tous ceux que je ne connais pas."
Ce n'était pas les mots d'Emma décrivant Léon, mais c'étaient les siens, huit ans plus tôt dans une lettre à Caroline. C'était chez Pradier, son ami sculpteur, qu'il l'avait rencontré. Leur amitié n'avait cessé de s'intensifier ces dernières années et l'exil de son ami avait amené dans sa vie un espace de solitude douloureuse. Hugo lui manquait. Il étouffait dans sa vie sous l'empire restauré et il l'avait clairement exprimé dans une de ses lettres adressé à son ami : "L’exil, du moins, vous en épargne la vue. Ah ! si vous saviez dans quelles immondices nous nous enfonçons ! Les infamies particulières découlent de la turpitude politique et l’on ne peut faire un pas sans marcher sur quelque chose de sale. L’atmosphère est lourde de vapeurs nauséabondes. De l'air ! de l'air ! Aussi j'ouvre la fenêtre et je me tourne vers vous.
Victor Hugo en exil à Jersey
Cet amitié l'ennoblissait, le hissait au-delà des mesquineries et de la fantaisie des aléas de la vie. Il y avait là une nourriture sûre et sereine, une écoute attentive qui apaise le tourment.
 En effet, le deuil de Caroline avait fait basculé sa vie. De cela, il n'en parlait jamais, mais parfois les brûlures de son coeur le terrassaient. Il se demandait à quoi bon continuer, et comment continuer à aimer la vie qui ôte la vie. Il oscillait entre l'acceptation et la révolte, ses sentiments là le harcelaient et il aspirait, au fond de lui, à restaurer la paix. Il lisait tout de Victor Hugo, et il trouvait un soulagement incroyable dans ses lectures. Quelque chose de nouveau avait surgi chez lui depuis qu'il était sur son île. Où allait-il pour puiser ses ressources profondes ? Comment trouvait-il le détachement ? Hugo souffrait  aussi terriblement de la mort de Léopoldine. Il connaissait la douleur du deuil. Son courage, sa force, la lumière qui jaillissaient de ses poèmes et surtout sa chaleur et son amour le subjuguaient. Il l'aimait de cet amour fraternel que Saint-Exupéry décrirait plus tard comme "le désir aveugle d'une chaleur", c'était son ami, "un rendez-vous au-delà de lui-même qui ensoleillait sa vie". Il en rêvait, comme on rêve d'être heureux, et il enviait sa sensibilité, sa liberté : "J’écoute passer les grands coups d’ailes de votre Muse et j’aspire, comme le parfum des bois, ce qui s’exhale des profondeurs de votre style. Et d’ailleurs, Monsieur, vous avez été dans ma vie une obsession charmante, un long amour ; il ne faiblit pas".

Ainsi Flaubert aspire-t-il  à découvrir le secret de son ami pour alléger sa monotonie. Mais en même temps qu'il suffoque dans sa vie, il plonge Emma dans l'ennui. Un sanglot permanent est bloqué au fond de sa gorge. Il écrit avec son coeur, il écrit ses plus grandes déchirures mais il les dissimule derrière cette réalité abrupte qu'il relate ainsi pour se venger de ne pas avoir le courage de croire à ses rêves.
Emma Bovary
 Dans un élan incoercible, il finit par écrire une longue lettre à Hugo, en lui exprimant son inévitable basculement vers la fatalité. Emma risque de mourir un 23 mars, à quelques jours de la date de décès de Caroline qui a eu lieu le 19 mars 1846. Il rêve de Victor Hugo, qu'il croyait fini avec cet éloignement mais qui grandit plus que jamais.
De son côté, Victor Hugo, loin de se douter des tourments de son ami, mène une vie solitaire qui lui fait découvrir des mondes inconnus, il plonge dans la dimension subtile et spirituelle de la vie et tend vers l'universel.  Mais le révèlera-t-il à Flaubert ? Le destin d'Emma qui ne tient qu'à une réponse de Victor Hugo pourrait-il basculer ?

Aufélie Blanchard et Native Ellerkamp. 

Ce texte est imaginé cependant la biographie de Flaubert y est exact et les citations de ses correspondances réelles. Nous avons également exploré la video de Henri Guillemin sur Flaubert. Voici les adresses de nos sources :
 https://www.youtube.com/watch?v=H05kpM3oE5w
https://www.youtube.com/watch?v=O7rCIaFiyos&list=RDH05kpM3oE5w&index=2
http://www.amis-flaubert-maupassant.fr/gustave-flaubert/biographie/

mardi 9 avril 2019

Victor Hugo aurait-il pu sauver Emma Bovary ? La lettre de Hugo à Flaubert (Episode 3 : fiction)

Maison de Victor Hugo à Jersey.
Une légère pluie était venue rafraîchir le jardin en ce début d'après-midi. Pour un printemps, l'air était doux sur ce petit bout de terre au large des côtes normandes, qui l'avait finalement accueilli. Avec soin, il plia les feuillets à destination de son ami, l’esprit déjà tourné au-dehors vers le sentier qui partait de la maison et qui, chaque jour, l’accompagnait dans sa promenade l’après-midi. En marchant, les mots revenaient, trouver une place dans chacun de ses pas :

Mon cher ami,

  Je ne crois pas qu'il ait une issue dans la fatalité. La mort n'est pas une fatalité, le désespoir oui. Votre Emma souffre d'un mal que vous décrivez appartenir aux femmes mais qui, en fait, appartient tout autant aux hommes. Elle court éperdue dans des amours illusoires, mais est-ce condamnable ? L'illusion fait partie du chemin dans l'amour, mais s'y perdre peut conduire à la folie. Voyez-vous, la vie m'a réservé bien des épreuves afin d'ébranler, sans retour envisageable, mon jugement. Je ne juge plus, j'aime ! J'ai vu périr ma fille aînée et je vois, aujourd'hui, impuissant sombrer ma cadette dans les brumes de son coeur capturé. C'est humain cette quête de l'amour absolu qui serait susceptible de remplir tous nos vides intérieurs. On y recherche une forme de perfection, un amour qui ne pourrait jamais trahir afin
Sentier méditatif de Victor Hugo.
d'être sûr de ne jamais mourir. Mais la perfection n'est pas humaine, elle est divine. L'amour existe, tout autour de nous, invisible aux yeux ouverts mais perceptibles aux coeurs sensibles. Chaque arbre, chaque fleur, chaque nuage et chaque coucher de soleil est un peu de ce nectar divin. Il suffit de poser son regard immobile sur ces instants éternels pour y trouver une paix intérieure légère comme l'air et aussi envoûtante que des lèvres posées sur la coupe d'un délice interdit. J'ai aimé, moi aussi, jusqu'à m'en rendre fou parfois, jusqu'à trahir aussi afin de goûter à l'impossible. Et j'y ai trouvé la folle désillusion, ce désenchantement sans détour qui vous conduit dans une voie sans issue. Le poison de votre Emma apparaît, pour vous, comme l'ultime recours pour mettre fin à la torture des chimères qui vous dévorent. Je vous connais, mon ami, et je vous respecte. Votre amitié est pour moi aussi un don précieux et de vous savoir en difficulté m'est pénible. J'entends que vous trouviez dans mes poèmes, récemment écrits, comme une douceur consolatrice et désarmante. Leur sonorité est inhabituelle et leur profondeur insondable, n'en soyez pas démuni, ils vivent au-delà de moi.  J'ai, depuis mes années d'exil, découvert une vie plus solitaire, plus simple aussi et ce dépouillement m'a tiré vers une humilité plus accessible. Je me suis observé traversé d'émotions, traverser par mes émotions. Au bord de l'océan, j'ai plongé dans les profondeurs de ce monde intérieur. Il est immense, mon ami, riche et infini. Jamais on ne s'y perd, jamais on y est seul et toujours on y est aimé. On finit par s'y rencontrer enfin, dans un moment inédit, qui n'appartient qu'à la nuit. Un nuit qui commence par une absence de lumière, une obscurité enveloppante qui nous fait toucher la puissance de notre volonté. Mais la volonté n'a ici aucune lueur, elle éclaire juste l'ego assoiffé de pouvoir qui, s'observant ainsi, s'attriste de sa pauvre illusion. C'est à genoux devant ce constat impuissant que l'on sombre traverser par le souhait de s'abandonner au néant pour ne plus ressentir le goût amer de l'orgueil qui aveugle. Ainsi, dans cet état de total abandon, vous comprenez le renoncement qui a le goût du sacrifice. Le divin porteur de la croix apparaît alors comme un salut et derrière sa croix qui se dissipe, peu à peu,  apparaît la lumière.  Infinie douceur irréelle,  consolation et amour sans nom. Cet amour là ne peut être nommé, il se vit de dedans et ne s'oublie jamais. Il est éternel. Voudriez-vous, mon ami, privez votre tendre Emma, de cet instant de grâce ? Lui offrir la vie, c'est vous ouvrir la porte de sa confiance infinie. Le monde invisible est, pour moi, aujourd'hui fraternel. Peu de gens savent ce qui se passe ici. Mais, confiant de notre intimité partagé, je dois vous révéler que j'ai fait ici l'expérience de la vie après la mort par des séances de spiritisme. N'imaginez pas que ma fascination pour cette nouveauté à la mode ait égaré mon entendement, bien au contraire, elle n'en a que mieux aiguisé mes sens. Riche de ces émotions qui me traversent et transportent ma plume, j'ai écrit nombre des poèmes de mon recueil "les contemplations". Je vous sais attentif à leur lecture, et je vous sens frustré par ce
Victor Hugo, Jersey.
mystère que vous ne pouvez saisir de là-bas. Mon ami, de grâce, croyez mes mots, ce ne sont pas ceux d'un fou mais d'un homme en quête de sagesse. J'ai cru mourir de chagrin et puis j'ai compris le sens de l'amour qui se donne à l'infini. Vous me connaissez passionné et aimant, j'ai besoin à mes côtés de Juliette qui me soutient et m'éclaire, ai-je pour autant délaissé Adèle. Non, je la respecte mais son coeur l'a emporté vers plus de chaleur. Et récemment, j'ai reçu une lettre bouleversante de Louise Michel*.  Au début, je n'ai pas compris le sens de ses mots et j'ai souhaité les ignorer. Mais la vie m' a rattrapé et devant la folie grandissante d'Adèle enliser dans un amour sans espoir et sans issue, j'ai compris. Il y a parfois des liens qui ne sont pas rationnels, nos âmes dans ce monde doivent cheminer. Mais peuvent-elles le faire sans amour ? Je ne le crois pas. L'amour inconditionnel en est l'essence, et chaque être a besoin de se sentir aimer sans crainte. Les mots de Louise Michel auraient pu, en d'autres temps me terrifier ou m'exaspérer. Mais aujourd'hui ce n'est pas le cas, je préfère en comprendre le sens profond. Que trouve-t-elle à travers moi ? La force de croire en sa destinée. Je m'interroge sur l'avenir de la femme dans notre monde et je crois que nous sommes loin d'avoir compris à quel point nous avons besoin de mêler nos essences profondes pour refondre ce monde. Sans la femme, cher ami, nous ne pouvons saisir la partie subtile et sensible de chacun de nous et grâce à elle nous pouvons non seulement la rencontrer mais aussi l'a laissé se déployer. Cette partie de nous porte notre foi en la vie, elle nous lie à l'invisible, à son entendement et à sa collaboration. Elle met fin à la fatalité du destin.
Aussi, voilà pourquoi, je me permets de vous adresser ces quelques lignes alors que vous terminez votre roman. Loin de moi, l'idée d'intervenir dans sa destinée, mais je me devais de vous informer de ce qui vit en moi et qui vous attire tant afin que vous ayez la possibilité de faire un choix conscient dans le destin d'Emma, si prêt du vôtre et de cette transformation profonde, salutaire et salvatrice  à laquelle vous aspirez depuis longtemps maintenant.

Depuis l'autre côté de l'océan, je vous envoie mes meilleures pensées et je vous tends une poignée de mains chaleureuses.
Votre ami sincère, Victor Hugo. 
(Cette lettre est entièrement imaginée)




Lettre de Louise Michel à Victor Hugo. ( Cette texte est une vraie lettre de Louise Michel et leur correspondance a été réelle)

* "Ô non, la lettre que je vous ai écrite ne sera pas la dernière, comme je vous le disais dans un de ces instants de découragement où je doute de tout, excepté de vous. Aujourd’hui, je me sens de la force et du courage et je crois à ma destinée. Que ce soit orgueil ou pressentiment, qu’importe, je vous le dirai, car je ne voudrais pas qu’une seule de mes pensées fût un secret pour vous. N’êtes-vous pas un frère pour moi, Hugo, et plus qu’un frère, car nous n’avons qu’une âme. Je voudrais vous remercier encore de m’avoir dit de vous écrire souvent, à vous qui avez tant d’autres préoccupations que mes lettres. J’ai mille choses à vous dire et je ne trouve qu’un seul mot pour tout cela, j’ai bien le droit de vous le redire, moi qui me suis donnée à Dieu pour toujours, c’est comme si un habitant de l’autre monde venait de la tombe ou du ciel vous répéter, frère, que je vous aime, parce que vous êtes généreux et grand au milieu de tant de caractères hideux. Ah, vous ne savez pas combien vous êtes grand, même aux yeux de la calomnie. J’ai le droit aussi de vous le dire, moi qui vous ferais de même des reproches si j’avais des doutes.
A bientôt, car, si je ne vous écrivais pas, je ne pourrais supporter la vie."

 Aufélie Blanchard, Native Ellerkamp, Sylvia Uro.

lundi 8 avril 2019

Victor Hugo aurait-il pu sauver Emma Bovary ? Episode 4 : Flaubert découvre Jane Austen (fin de la fiction)

Salon de Mme Loynes
     Fébrile, c’était une autre nuit d’insomnie… beaucoup d’émotions étaient remontées à la surface de son être en lisant la lettre de son ami. Puis il y avait eu cette rencontre chez Madame de Loynes. La Comtesse lui avait présenté le jeune Sir Cawley, qui non content de plaire à la plupart de ces dames, par son agréable apparence, avait dans son parler les traces d’une prime jeunesse passée Outre-Manche. Il en avait gardé cet accent si séduisant pour la gente féminine et Flaubert avait tout d’abord vu en lui un farouche rival. Mais Flaubert n’était plus le même homme depuis quelques temps, et l’instinct, qui lui avait serré en premier lieu le creux de l’estomac, avait laissé place à un sentiment plus fraternel. La passion des mots les avait rapprochés et Sir Cawley lui avait fait découvrir un auteur incroyable de son pays de naissance.

Et c’est en cette énième nuit, qui lui paraissait si longue, qu’il voulut partager avec Louise sa découverte :

Elisabeth Bennett
 "(...) cette auteure dont j'ai évoqué les romans, une certaine Jane Austen, peu connue en langue française, plaira à Emma. Cette Miss Bennett, qu'elle dépeint semble faire partie d'elle-même au demeurant. Elle est passionnée dans son coeur et raisonnable dans ses actes ; l'amour juste et l'honnêteté sont au-dessus de toutes choses pour elle. C'est en ces termes qu'elle adresse à l'homme qu'elle l'aime, enfin c'est du moins ce que Sir Cawley m'a traduit : "Depuis le commencement, je pourrais dire dès le premier instant, j'ai été frappée par votre fierté et votre mépris égoïste des sentiments d'autrui". Point de lettre enflammée, de mouchoirs parfumés, de rendez-vous secrets. La sincérité de son héroïne crée une réalité parfois abrupte, mais c'est dans cette réalité même que la beauté de l'amour prend sa source. Ainsi Monsieur Darcy, élu du coeur de Miss Bennett répond "et vous m'avez montrée que mes prétentions étaient insuffisantes pour plaire à une femme qui méritait réellement qu'on l'aime".

J'aimerais tant qu'Emma rencontre Miss Bennett.... 

 
Promenade des Anglais au XIXe siècle
Nice, 2016.

Elle venait de lire le dernier texte du Blog, en traversant le boulevard Victor Hugo, elle se souvenait des mots qui l'avaient émue. Peut-être Flaubert avait-il lui aussi traversé ce boulevard au bras de Caroline déjà malade ? Elle avait lu, avec l'insatiable curiosité de sa jeunesse, le séjour de Flaubert sur les côtes niçoises. Elle n’était pas loin de la mer, elle avait besoin de s’aérer, de marcher , de comprendre…Emma Emma Emma. Elle s’était sentie tellement mal à l’aise en voyant ce film. A mesure qu’elle avançait vers la promenade des Anglais pour voir la mer, elle prit la mesure de ce qu’elle ressentait. Le dégoût suscité par l’héroïne de Flaubert avait laissé place à la compassion. A sa compassion de femme, pour la femme qu’Emma était et demeurait en elle, en nous.
Promenade des Anglais aujourd'hui.

 Ainsi, bien incarnée dans son XXIe siècle, elle gardait dans son coeur une partie de ce 19e siècle qu'elle aimait tout particulièrement, comme le lien éternel entre deux espaces-temps qui venaient de se rejoindre. Le passé tendait la main à un futur ouvert et porteur de nouveautés et sa dimension de femme rayonnait aujourd'hui pleinement.








Sylvia Uro, Aufélie Blanchard, Native Ellerkamp.

jeudi 4 avril 2019

Prendre racine...


 La recherche de nos racines est parfois un chemin intérieur de toute une vie. 

La réalité dans toute sa dimension, humaine et spirituelle, visible et invisible, même si elle met un certain nombre d'années à se révéler, finit par apparaître un jour, au grand jour.
 On s'aperçoit du lien profond qui unit ces lieux (lieu de naissance et lieu de vie), en apparence si différents, qui nous écartelaient jusqu'alors. Un lien si fort que toute dualité disparaît pour laisser place à la rencontre de nos racines profondes (notre partie vivante, organique et instinctive  profondément incarnée ) et nous permettre de  "toucher les cimes", la partie la plus spirituelle de notre être. La dualité entre l'instinct et la foi disparaît, pour laisser place à l'unité de notre être : relié  à la terre et au ciel, uni à l'univers.


Calogero : Prendre racine.